Marina Tsvétaïéva
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Ils ne se sont jamais rencontrés,
et pourtant ils se sont aimés,
passionnément, par lettres interposées...
jusqu'à la mort de Rilke.
«Tu as plongé tes mains, Marina, tour à tour offrantes et jointes, tu as plongé tes mains dans mon cœur comme dans le bassin d’une fontaine ruisselante : et maintenant, aussi longtemps que tu les y garderas, le courant contenu coulera vers toi... Accepte-le.»
Rainer Maria Rilke
« Rainer Maria Rilke est significatif pour notre époque, ce poète le plus éloigné dans l’éloignement, le plus élevé dans le sublime, le plus solitaire dans sa solitude, est le contre-poids de notre temps ».
Marina Tsvétaïéva
Au début de 1926, Marina Tsvétaïéva était parmi les poètes russes les plus admirés. Au printemps de cette même année, elle était reléguée au rang « des plus décriés », en Union Soviétique mais aussi à l’étranger, tombée en disgrâce après la publication d’articles polémiques dans lesquels elle avait écharpé écrivains, poètes et critiques. Aussi, à la lecture de la lettre que Rainer Maria Rilke lui adressa le 3 mai 1926, la chère poétesse fut aussitôt transportée du fond de ses Enfers jusqu’au septième ciel, « jetée sur la plus haute tour de la joie ».
extraits de correspondance
Cher Rainer,
Goethe dit quelque part qu’on ne peut rien réaliser de grand dans une langue étrangère - cela m’a toujours paru sonner faux. Ecrire des poèmes, c’est déjà traduire, de sa langue maternelle dans une autre, peu importe qu’il s’agisse de français ou d’allemand. Aucune langue n’est langue maternelle.
Ecrire des poèmes, c’est écrire d’après. C’est pourquoi je ne comprends pas qu’on parle de poètes français ou russes… Un poète peut écrire en français, il ne peut pas être un poète français. C’est ridicule. Néanmoins, chaque langue a quelque chose qui lui appartient en propre, qui la fait ce qu’elle est. C’est pourquoi tu sonnes en français autrement qu’en allemand — et c’est la raison même pour laquelle tu as choisi le français!
L’allemand est plus profond que le français, plus plein, plus dilaté, plus sombre. Le français: une horloge sans résonance; l’allemand: plutôt une résonance qu’une horloge (ses coups).
L’allemand, le lecteur le re-transpose sans cesse, à l’infini; le français est là. L’allemand — devient, le français est. Une langue ingrate pour le poète, c’est bien pourquoi tu l’as choisie. Une langue presque impossible!
Ah! Rainer, la première page de ma lettre pourrait tomber tout entière. Mon amour pour toi s’est morcelé en jours et en lettres, en heures et en lignes. D’où l’inquiétude. Aujourd’hui une lettre, demain une lettre. Tu vis, je veux te voir. D’où le tourment, les jours que l’on compte, chaque heure nulle, simple degré — pour aboutir à la lettre.
Être en l’autre ou avoir l’autre (ou vouloir l’avoir, vouloir: c’est un tout!). Quand je m’en suis avisée, je me suis tue. Maintenant, c’est passé. Vouloir me passe vite. Ce que je voulais de toi?
Rien.
Plutôt: t’approcher. Simplement, peut-être, aller à toi. Sans lettre, c’était déjà: sans toi. Ensuite: pire. Sans lettre: sans toi, avec lettre: sans toi, avec toi: sans toi. En toi! Ne pas être. Mourir!
Telle je suis. Tel est l’amour. Ingrat et suicidaire. L’amour, je ne le respecte ni ne l’aime.
La haute bassesse de l’amour,
C’est un vers de moi. Maintenant, c’est passé. Maintenant, je t’écris.
Marina
Merveilleuse Marina,
Chaque fois que je t’écris, je voudrais écrire comme toi, me transposer en toi avec tes moyens si équanimes et pourtant si sensibles. Ton dire, Marina, est comme le reflet d’une étoile quand il apparaît dans l’eau et se trouve par l’eau, par la vie de l’eau, par sa nuit liquide troublé, interrompu, aboli et ré-accepté, puis accueilli plus profondément dans le flot, comme familiarisé déjà avec ce monde de reflets.
Poétesse, sens-tu à quel point tu m’as subjugué?
J’écris comme toi, comme toi je sors de la phrase pour descendre les quelques marches qui mènent à l’entresol des parenthèses où les plafonds sont très bas sur un parfum de roses anciennes, qui ne cessent jamais.
Marina: comme j’ai habité ta lettre. Et quelle stupeur quand le dé de tes mots, une fois le jet annoncé, est tombé encore une marche plus bas, montrant le chiffre complémentaire, définitif (souvent plus grand encore). Il me semblait de nouveau que la nature, à travers toi, m’avait approuvé, tout un jardin disant oui autour d’une fontaine et de quoi encore? d’un cadran solaire. Comme il me surpasse et souffle plus haut que moi, le haut phlox de tes mots d’été!
La cadette de tes lettres est auprès de moi depuis le 9 juillet : que de fois j’ai voulu t’écrire! Mais ma vie pèse si étrangement en moi, le plus souvent je n’arrive pas à la faire bouger d’un pouce; la pesanteur semble créer une nouvelle relation entre nous - je n’avais plus eu depuis mon enfance un cœur aussi inamovible; autrefois, c’est le monde qui était affecté par la pesanteur et faisait pression sur quelqu’un qui était lui-même comme une cassée, perdant plume après plume dans le vague; à présent, c’est moi qui suis le pesant, et le monde est autour de moi comme un sommeil…
« Tu n’as pas besoin de répondre », concluais-tu. Je ne le pourrais pas, peut-être: car qui sait, Marina, si ma réponse n’a pas précédé ta question? Comme si la chose s’était passée déjà.
Et tu as aussi écrit, dans la marge droite de ta lettre: «Le passé est encore à venir…»
(Vers magique, mais dans un contexte si plein d’angoisse.)
Rainer
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