Jacques s’assoit sur le bord du trottoir. Il dit : « Oui. Il le faut.
Jeanne soupire. Elle s’énerve.
_ Et ça va prendre combien de temps ?
Il la regarde. Il sourit. « Tu es pressée ? Dis-moi. On t’attend quelque part ?
_ Il va bientôt pleuvoir, Jacques. Regarde le ciel…
_ Et alors… On attendra sous la pluie. Moi, ça ne me gêne pas.
Elle souffle : « C’est ridicule.
Et Jacques, aussitôt : « Non, Jeanne. C’est toi qui est ridicule.
_ C’est ce que tu penses ?
_ Oui.
_ Vraiment ?
_ Vraiment, Jeanne. Il suffit d’être patient.
_ Et s’il ne ressort pas ?
_ Fais-moi confiance, il va ressortir. Un type comme ça ne reste pas chez lui plus d’une heure ou deux.
_ Mais bon sang, Jacques, tu ne le connais même pas.
_ J’ai vu son visage. J’ai vu son regard, Jeanne.
_ Tu ne vois pas que…
_ Quoi ? » Il se relève. D’un coup. « Qu'est-ce que je ne vois pas ?!
Elle hésite. « Je veux rentrer, Jacques. Ramène-moi à la maison.
_ Tu n’as qu’à prendre le bus.
Jeanne ouvre son sac à main, regarde l’heure. Réajuste la capuche de sa grosse doudoune, et dit : « Tu vas vraiment passer la nuit ici ? A cause d’une intuition ?
Il ne répond pas.
Elle se racle la gorge. « Regarde le ciel, Jacques.
_ Je m’en fous du ciel. Et de la pluie. Je m’en fous…
_ Ne dis pas ça. » Elle se rapproche de lui, cherche à lui prendre la main.
Mais il s'écarte. Elle ne comprend pas. Déjà il s’éloigne. Il l’ignore, et fixe son regard sur le bâtiment moderne devant lequel ils attendent.
Elle dit : « Rentre avec moi, Jacques. Tes mains sont glacées.
Il ne bouge pas.
Elle insiste. « Je ne veux pas te laisser là.
Mais Jacques est ailleurs, ses yeux perdus dans le lointain. Il ne voit pas Jeanne s’éloigner. Il n’entend pas ses talons cogner le trottoir. Il demeure immobile, face au bâtiment moderne et sa façade en crépi, ses fenêtres si nombreuses, ses fenêtres déjà allumées, sa porte qui reste close.
Au bout d’un moment, et sans bouger, il murmure: « Jeanne… Il le faut. » Il se frotte les yeux, en ajoutant : « Un peu de pluie ne me fera pas de mal…
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